• Une amère insatifaction

    Si vous avez eu la patience de lire mon article sur le sabordage de la Flotte à Toulon en 1942, voici la leçon que j'en ai tirée, en qualité de résistant de la première heure, et d'officier ayant fait la guerre pendant plus de dix ans,  donc représentant  d'une infîme  catégorie de citoyens français,mais  exprimant un sentiment subjectif. (( Pourqoi faut-il alors que ce harakiri gigantesque salué avec enthousiasme dans toutes les capitales  du monde libre, et enregistré par les nazis comme une défaite, nous laisse une impression d'amère insatisfaction? Et qu'un  arrière-goût de cendre  vienne  altérer le plaisir que l'on pourrait éprouver à  savourer   la déconvenue  d'Hitler? Cela tient sans doute à ce que chaque fois que  revient  le mot de SABORDAGE, un autre mot: APPAREILLAGE, lui fait écho et  souligne  l'inepte  grandeur  d'un   sacrifice   qui   eut  pu  être  évité...

    Lorsqu'on   fait le compte de l'énergie, du courage voire de l'héroïme désepéré  et parfois  de  l'intelligence  pour  exécuter ce suicide  collectif  de  la flotte française, qui  était   la plus  moderne et puissante d'Europe en 1940, on  ne  peut  s'empêcher  de  penser, maintenant  que nous connaissons  les  faits, que  la même énergie , le  même courage, la  même intelligence  eussent  pu être  mis  en  oeuvre, non pour  détruire  les bâtiments, et  les forces de haute mer,  mais   bien  pour  les  sauver?  Il eut  suffit  pour  cela,  qu'un  seul  ordre, lancé  du STRASBOURG, attendu,  ardemment,  espéré par l'IMMENSE majorité des  officiers et des équipages, et  les Forces  de Haute  Mer  imitées par tous le autres  bâtiments, en état  d'appareiller,  eussent pu  quitter  la souricière de Toulon  et  rallier  les ports libérés de  l'Afrique du Nord ...reprendre le combat, redorer  le  blason de  la France  et  sans doute  racourci  la  durée  de  la guerre.

    Au prix peut-être d'un combat contre les bombardiers de la Luftwaffe? Peut-être , car en  quittant  de nuit  en novembre Toulon, on  pouvait éviter  une grande  casse, voire la minimiser.  Il devait être prouvé ,moins d'un an après le sabordage de Toulon, qu'un tel combat valait d'être livré.  Cette  démonstration ne  peut d'ailleurs qu'accroitre  notre amertume, car nul ne songerait à dire que ce risque  eût été de nature à faire hésiter nos marins.  Seuls   quatre sous-marins, dont le glorieux CASABIANCA, ont réussi à se sauver et à rejoindre les alliés. Il  devait être prouvé, moins d'un an après le sabordage de Toulon. Car,  c'est la flotte  italienne   qui  devait le  réussir le 8 septembre 1943, en appareillant de jour,  de LA  SPEZIA,  sous  le feu  de  la Luftwaffe. Certes le cuirassé ROMA, à bord duquel  flottait la marque de  l'amiral BERGAMINI, commandant  en chef, devait être coulé, et le cuirassé ITALIA sérieusemnt touché, mais  une fois payé  ce tribu à la liberté, la MAJEURE PARTIE de la flotte et des équipages italiens  se retrouvaient trois jours  plus tard  au mouillage  à  Malte.

     Un tel  rapprochement ne peut  se faire sans  tristesse. Lorsqu'il s'agit de dresser honnêtement, sans hypocrite indulgence, le bilan du sabordage. L'amiral MARQUIS, préphé   maritime  de  Toulon, n'a  pas feint de croire qu'il s''agissait en 1942  de "livrer" des bâtiments  à l'ETRANGER , mais  de reprendre le combat   contre  l'ennemi.     l'amiral de LABORDE n'avait-il pas voulu se placer aux ordres de ROMMEL  pour reconquérir le Tchad en 1942? L'amiral MARQUIS  na-t'il pas déclaré en Haute Cour de Justice le 12 août 1946, qu'il était personnellement  favorable  à l'appareillage, contre l'avis de lamiral de LABORDE,? Mais  lui aussi  a dégagé sa responsabilité   personnelle se retranchant  derrière le strict  respect de  la discipline militaire: (( le malheur devait-il dire, à certains points de vue de l'appareillage,  QUI AVAIT ETE PREPARE,...c'est que dans la marine, on est TRES  discipliné...))

    Le débat qui est ouvert, sur l'obeissance, sur la disciplne militaire et la légitimité de certains  actes d'indiscipline  est de  ceux qui ne seront  JAMAIS  CLOS. Peguy  a pu  écrire: (( je  désobéirai si la  justice et  la LIBERTE  l'exigent)) et sans De Gaulle , la France  aurait sans doute  été un satelitte américain, car les Américains  avaient  tout  prévu.... Donc , considérant  que les ennemis étaient les germano-italiens, il   a pris   l' attitude  la plus  courageuse  et la plus politique.  Pour lui, l'ennemi, c'étaient toujours  les nazis, et la grande majorité des marins  le pensaient également. Moi-même en Indochine , ayant reçu un ordre  que  je  considérais ( preuve en main) comme  absurde  et suicidaire, mais venant du  colonel commandant mon secteur, jai obéi et perdu la moitié d'une de mes compagnies dans une boucherie, pour rien!...Aussi  , aux prises avec un tel problème, il  faut certes  le résoudre  seul, sans  autre  interlocuteur que sa propre CONSCIENCE; le métier militaire n'est pas simple surtout à l'échelon des officiers...

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